Dans le cadre du Forum européen de bioéthique, qui a lieu du 25 au 30 janvier en version digitale, nous avons rencontré le docteur Dominique Mastelli, psychiatre au CHU de Strasbourg et responsable de la cellule d'urgence médico-psychologique du Bas-Rhin.
Pour la 11 édition, le Forum européen de bioéthique propose une thématique au cœur des préoccupations actuelles : "La bioéthique en temps de crises". Le docteur Dominique Mastelli, psychiatre au CHU de Strasbourg et responsable de la cellule d'urgence médico-psychologique du Bas-Rhin, interviendra samedi 30 janvier à 16 heures pour parler de l’impact psychologique de la crise.
Les restrictions anti-Covid empêchent-elles de mourir ou de vivre ?
Les mesures qui sont prises sont faites pour préserver la vie, pour nous protéger. Evidemment, tant que c’est une crise, courte et immédiate, tout le monde peut accepter ces mesures-là. Le problème, c’est qu’à la longue, quand la crise s’étale, elle a d’autres impacts. Ce n’est pas seulement une question de vie ou de mort, ça change et ça modifie notre façon de vivre, ça déstructure notre organisation et nous empêche de penser à demain, d’anticiper, de préparer notre vie. Donc, par définition, ça devient un empêchement de vivre.
Défier l’autorité, c’est une question de réflexe ou d’éducation ?
La nature de l’être humain, c'est de préserver sa vie et celle de ceux qu’il aime. Ce qui va donc être mis en place immédiatement, c’est le réflexe. En psychotraumatologie d’ailleurs, on appelle cela les «réflexes archaïques» : on se défend, on se bagarre, on est sidéré ou on fuit. Ça, c’est dans l’immédiat. Le fait que nous soyons des êtres humains, que nous ayons une culture et une histoire commune, va nous amener à avoir un autre type de réaction, qui n’est plus qu’une question de vie ou de mort.
C’est une question de confort de vie, une recherche de plaisir et d’équilibre dans notre vie. Evidemment, les mesures sanitaires vont les contraindre. En résumé, notre culture, à la longue, va nous obliger à remettre en question, voire à nous rebeller par rapport à ce qui nous est imposé, pour fabriquer par nous-mêmes de la liberté individuelle, mais aussi et surtout de la liberté collective.
Quel est l’impact psychologique de la crise sanitaire ?
Après la première et la deuxième vague, on parle aujourd’hui d’une troisième vague psychologique, effectivement. Les conséquences psychologiques de cette crise sont inédites, on ne les connait pas. On a des modèles du passé, où d’autres épidémies ont eu des conséquences, mais dans d’autres contextes. Aujourd’hui, la mondialisation, l’échange de l’information, font que cette crise aura des effets inattendus, on ne peut pas les anticiper. Ils vont être longs.
Le meilleur exemple est celui des étudiants, les jeunes, dont la vie est aujourd’hui peu en danger, mais qui ont vu leur vie quotidienne et leur vie à long cours totalement modifiées. Leurs trajectoires sont modifiées. Et même si on ne voit pas plus de dépressions, de tentatives de suicide ou de grandes pathologies psychiatriques, on voit par contre d’innombrables syndromes dépressifs et de troubles anxieux qui apparaissent. Ceux-ci nécessitent des prises en charge spécifiques et étalées dans le temps, que nous connaissons bien.
Ces personnes vont être prises en charge au long cours, personne ne sera laissé de côté. Après les soins physiques, somatiques, ce seront des soins et accompagnements psychologiques qui vont être nécessaires. Pendant des années, des personnes auront besoin d’aide. Elles vont, je le crois et j’en suis certain, recouvrer une vie, mais ce ne sera pas la même. Car une crise, par définition, change notre vie. Il y a un avant la crise, et un après la crise. Penser que nous devons retourner à l’état antérieur est utopique. Nous devons fabriquer une vie et un avenir qui vont tenir compte de cette crise. Elle nous a donné des enseignements, nous a fait perdre des personnes, nos repères, nous devons en créer de nouveaux. C’est dans ce sens-là que des actions psychothérapiques devront avoir lieu.
Consultez le programme du Forum Européen de Bioéthique.